Quand il lit à voix haute
Quand il lit à voix haute
Il se fait maitre d’œuvre un rien fantasque
Il regarde d’un œil les plans étalés
Pages après pages
Plus qu’un simple exécutant il met son cœur à l’ouvrage
La voix monte, les mains s’agitent et l’espace vacant laisse place
A mille couleurs, formes et farces
Il respecte le plan à la lettre
Mais se débrouille toujours pour que ce festival pour les sens
N’ait qu’un seul visage, le sien.
Quand il lit à voix haute
Son cœur se fait plus insistant
Tout conscient qu’il est
De la situation et de sa gravité
Fini l’errance et la légèreté
Pas de caresse et d’association d’idée
La langue est en marche forcée
Même si elle semble leste et gouailleuse
L’affaire n’a jamais été aussi sérieuse
Course d’obstacle contre métronome
Et
Toujours au loin
Mais toujours trop prêt
Ce fantôme
Cette main
Cette intention
L’auteur momifié au panthéon
Regard perdu au loin
Rictus mauvais au coin
Désespoir devant son rêve réapproprié
Et son texte réécrit dans une voix qui ne lui ressemble pas.
Dans les cordes
Jambes de coton
La tête qui tourne
La bouche pâteuse
Avant même de commencer, il n’en peut plus
Le sol tangue sous ses pieds
Il est dans les cordes
Il essaye de voir ce ring devant lui
Mais le projecteur comme un soleil de midi
L’éclaire moins qu’il ne l’éblouit
Deux mains amicales sur les épaules
Et la voix du coach
Sa vieille Cologne et le tabac froid
Curieusement ça ne le dérange pas
Oui, pas cette fois
Les conseils, toujours les même conseils
Mille fois écoutés, mille fois oubliés
A chaque fois qu’il se donne en spectacle, tout fout le camp
C’est à peine s’il sait qui il est
« Tiens-toi droit » dit la main calleuse en s’enfonçant dans son dos
« Respire, bon dieu, respire »
Et déjà quelque part ça s’apaise
Le souffle s’allonge
La cadence entrevoit au loin une joie paresseuse
« C’est ça, oui c’est bien ça »
Vieille gauloise, et bière généreuse
« Ralentit
Et ralentit encore »
Le ring
La scène
Le pupitre
La foule en bas
Les regards curieux
Alors que la pause s’allonge
« Appuie, appuie encore,
Chaque mot, comme si c’était le dernier »
« et pour le final,
Accentue chaque syllabe »
« Avec du cœur et de l’intention »
« Laisse tes mots respirer,
Donne-leur l’espace pour s’épanouir »
L’amas couvrant les pages
Les lignes qui se tendent
Les mots qui se découpent
Puis qui dansent avec langueur
Prêt à être cueillis, avalés, mâchés et chantés
Il est prêt
Il jette un œil dans les ténèbres derrière lui
Son nez cherche les relents de tabac froids
Mais c’est en vain, il ne sent rien,
Alors il remercie, à peine un murmure
Embrasse de nouveau du regard son auditoire
Et laisse enfin les mots raconter leur histoire
atelier d’écriture : lire à haute voix