C’est étrange de revoir ce film presque 30 ans après sa sortie. A l’époque, le CD n’existait pas encore, Internet n’était même pas une rumeur. Il y a des choses qu’il est impossible de désapprendre, comment comprendre les inquiétudes concernant l’impact de l’image et plus particulièrement de celles qui émanent du poste de TV à notre époque où les écrans se sont multipliés de manière anarchique et l’interactivité est de plus en plus poussée ? Plutôt qu’une dissertation filmée, ou un film d’anticipation ringard deux ans après, David Cronenberg utilise la carte du fantastique et de l’horreur. Ainsi pris au premier degré on a affaire à un film mi espionnage mi horreur un brin bancal, pleins de zone d’ombre, chose insupportable à une époque où Hollywood, nous prémâche tout avant de nous donner la becquée. Il y a des images choquantes, des personnages qui agissent de manière étrange et un final assez abscons. Par contre dès qu’on gratte on se retrouve confronté à une richesse folle derrière ces métaphores. 
Max Renn fait partie du trium virat dirigeant CIVIC TV à Toronto. Cette chaine câblée s’est spécialisé dans des programmes appelant les instincts les plus primaires : violence gratuite et pornographie. Il est mécontent car il trouve que ces programmes manquent d’intensité. Un génie de l’électronique (l’informatique n’est que balbutiante à l’époque) travaillant  pour lui trouve une émission diffusée de manière cryptée, VIDEODROME, qui n’est rien d’autre qu’une série de snuff movies, des prisonniers sont torturés, mutilés puis tués à l’écran. Mais c’est plus qu’une émission, elle provoque des hallucinations et un changement dramatique de comportement.
On pourrait y voir la fable morale illustrant le verset très connu de la bible, qui vit par la violence gratuite et la pornographie mourra par la violence gratuite …  mais aussi une réponse délirante aux inquiétudes quant à l’impact sur la vie et le mental de ce genre de programme sur ceux qui les regardent. Max Renn de par la tumeur provoquée par l’exposition à l’émission Vidéodrome se met à générer autour de lui des scènes du même acabit, il se laisse aller à une relation sado masochiste avec Nicky Brand, la vedette d’un show radiophonique dédiée à l’aide de personnes en détresse psychologique. Il finira dans une scène d’anthologie par se retrouvé programmé, se transformant en un lecteur de Cassettes vidéos humain. Voir les conséquences de la consommation de softcore et de snuff dans le monde délirant du film, nous amène à nous demander « et dans la vrai vie ça se passe comment ? Qu’est-ce que je risque ?  si je regarde des scènes sado-maso est ce que je vais y prendre goût ? et si c’est le cas est ce que c’est une concrétisation de quelque chose que j’avais toujours porté en moi ou est-ce que j’ai été corrompu ? » 
Si dans une famille normale l’enfant est exposé à l’essentiel des interactions entre ses parents, il ne sait pas ce qui se passe dans la chambre à coucher. D’une certaine manière l’intimité sexuelle entre un homme et une femme est quelque chose qui s’invente à deux, quelque chose de neuf et de pur. En regardant un porno l’adolescent se retrouve confronté à une version tronquée et distordue de la sexualité, et même si intellectuellement il sait que dans la vie ça ne fonctionne que rarement comme cela, ces images s’impriment et rien ne vient les contrebalancer. Les deux outils puissants de conditionnement sont le renforcement (négatif punition / positif récompense) et l’exemple (voir faire c’est aussi faire un peu grâce aux neurones miroirs). Dans le cadre d’une sexualité « normale », le renforcement est fait par le/la partenaire et je ne vois pas de renforcement. Par contre pour la pornographie, avec le choix sur internet, quel que soit le fantasme il y aura des vidéos, et le renforcement sera essentiellement positif : à moins que le film soit loin des critères de la personne c’est du plaisir assuré. Je pense que le paysage mental sexuel de l’homme a radicalement changé depuis que la pornographie n’est plus interdite en France. 
Videodrome n’est pas le genre de film vu et oublié dans la même journée, certaines images restent coincées quelque part derrière les yeux et le questionnement démange. Il peut aider à lancer des débats très intéressants. Pour moi c’est le premier film « sérieux de Cronenberg », pas encore tout public, il a encore un pied dans la série B, mais toutes les obsessions de l’auteur sont bien là , ça bouillonne d’idées. Si vous vous sentez en manque après ce film, eXsistenZ du même réalisateur vous donnera toute satisfaction et vous permettra de mesurer les progrès de production accomplis en 16 ans.
Vidéodrome (1983) David Cronenberg

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